Interview de Florence Miailhe, réalisatrice du film d’animation La traversée

par les élèves de Première STAV du Lycée Federico Garcia Lorca

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Publié le : 21 mai 2024
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Rubrique(s) : LEGTA

Florence Miailhe par Patrick Zachmann

Une semaine après la projection, organisée par Cinémaginaire et l’enseignante d’Éducation Socio-Culturelle, dans le cadre du projet «Lycéen·ne·s au cinéma», Florence Miailhe nous a fait l’honneur de venir au lycée.

l’affiche du film

La traversée, un film d’animation, réalisé en peinture sur verre, raconte l’histoire d’une migration à travers l’Europe, un récit initiatique où les deux personnages principaux, Kiona et Adriel, sont inspiré·e·s de la mère et de l’oncle de la réalisatrice, mais aussi de sa grand-mère.

– Bonjour Florence ! Nous sommes très heureux de vous rencontrer ! Comment allez-vous ?

Bien, merci ! J’arrive de la Montagne noire et je suis contente d’être là. J’étais à Berlin avant d’arriver à Théza, pour présenter mon dernier film : Nageur papillon[[court-métrage réalisé en peinture sur verre « est inspiré de la vie d’Alfred Nakache, nous y verrons  un homme qui nage et ses souvenirs qui remontent à la surface.

Certains sont heureux, d’autres glorieux, d’autres traumatiques : des eaux des bassins de l’enfance à ceux des piscines, d’un pays d’Afrique du nord aux rivages de la Méditerranée, des stades olympiques aux bassins de rétention d’eau, des camp de concentration aux plages rêvées de la Réunion. »
Source : Studio La Ménagerie]], un court métrage sur Alfred Nakache. Il a reçu le prix du jury jeune.

– Pourquoi avez vous voulu faire ce film ? Comment et depuis quand en avez-vous eu l’idée ?

L’idée est venue à l’occasion d’un festival d’animation, auquel j’ai participé en 2005. C’était un festival itinérant1, en bateau, de Kiev à Odessa, sur le Dnriep et la Mer Noire. J’ai réalisé que je refaisais, à l’envers, le chemin de l’exode de ma grand-mère maternelle et de ses parents.

Je voulais mettre l’histoire de ma famille, de mon arrière-grand-mère qui a fuit les pogroms d’Odessa en 1905, avec ses 9 enfants, en relation avec les événements historiques du XXème siècle.

Photogramme du film : Les ostéliens – La migration

J’ai commencé a travailler sur l’idée du film en 2006 et nous sommes entré.e.s dans la production en 2016. Les règles entre la fiction et l’animation ne sont pas les mêmes.

J’ai fait les graphiques, le story-board, pour démarcher ; j’avais besoin d’un budget et j’ai mis beaucoup de temps pour trouver les financements, presque dix ans.

– Pouvez–vous nous parler de vos sources d’inspiration ? Exemple : le carnet à dessin.

Ma mère dessinait tout le temps.

Photogramme du film : Le carnet

Dans ce film, je voulais aussi raconter l’histoire d’une jeune fille de 14 ans, dont la passion était le dessin.
Pour le film, nous avons reconstitué un carnet à partir d’une dizaine des carnets de ma mère, réalisés entre 1936 et 1945. Elle dessinait sa famille, ses amis, les paysages, c’est très documentaire comme travail. Les personnages sont inspirés de ses dessins.

Ma mère et mon oncle ont fuit ensemble la France occupée pour rejoindre une amie, Dina Verdy [la muse et épouse d’Aristide Maillol] ici, dans votre département, à Banyuls-sur-mer.

Elle a laissé une centaine de carnets à dessins, dont une cinquantaine sur la période de sa fuite.

J’ai archivé environ 3 200 œuvres, des peintures et des dessins et il en reste encore au moins 1 200 à archiver.

– Quand vous-a-t-on raconté l’histoire de vos arrières-grand-parents ? (la fuite d’Odessa)

On ne racontait pas beaucoup dans ma famille, personne n’a vraiment raconté la véritable histoire de la fuite d’Odessa.

Le récit de l’histoire peut se faire mais il est souvent trop tard quand on s’y intéresse. J’avais 10 ans quand ma grand-mère est morte, à presque 100 ans. Mais je me souviens de bribes d’histoires qui circulaient dans la famille.

Comme ils n’avaient pas beaucoup d’argent et qu’ils étaient 11 personnes à voyager, les enfant les plus petits étaient cachés dans des sacs ou des valises.

Et comme on le voit aussi dans le film, ma grand mère a pris une échelle sur le quai, pour monter dans le train par la fenêtre et doubler les autres.

Photo de famille

– Que sont devenus vos arrières-grands-parents après leur fuite ?

Ils se sont installés à Paris.

Ils voulaient aller en Amérique. Mais quand ils sont arrivés au Havre, une quarantaine était imposée et les enfants étaient séparés de leurs parents. Mon arrière-grand-mère a refusé, ils sont donc revenus à Paris.

Comme beaucoup de juifs, ils savaient coudre et ils ont ouvert des magasins de confection. La plupart des filles et des garçons ont travaillé dans la maison de couture familiale.

Après ça il y a eu la Seconde guerre mondiale, c’était assez dur pour les Juifs durant la guerre, je ne vais pas vous raconter ça.

Mon arrière-grand-mère avait déjà des enfants installés en zone libre : un fils à Perpignan et une fille à Grenoble.

Ils sont d’abord allés à Grenoble puis à Perpignan. Ensuite, à Toulouse ma grand mère a rencontré son futur mari, qui venait de la Montagne noire. Ils étaient résistants tous les deux.

– Par rapport à l’histoire de votre famille, est ce que tout est vrai dans le film ?

Tout est vrai et faux en même temps. Avec Marie Desplechin [scénariste et dialoguiste du film], nous voulions faire un récit universel. Inscrire ce film dans un temps de légende, un temps long car il parcourt tout le XXème siècle et même le XXIème.

La carte est presque réelle, c’est une carte de l’Europe un peu déformée. Novivarna, le village fictif d’où viennent Kiona et Adriel, est situé à l’emplacement exact d’Odessa.

Les époques sont mélangées entre le début du film, on peut se dire qu’on est dans un village de 1905 et l’apparition du téléphone portable, de l’ordinateur…

Je me suis inspirée des photos de mon mari, le photojournaliste Patrick Zachmann2, des camps de rétention à Hong-Kong, des bateaux de migrants.

Pendant tout le temps d’écriture et de recherche, j’avais l’impression d’être une éponge, d’absorber énormément de choses.

Je me suis aussi inspirée de la situation des mineur·e·s isolé·e·s, de tous les événements contemporains à l‘écriture du film. On m’a dit par exemple que je semblais bien connaître la condition des réfugié·e·s syrien·ne·s. Mais c’est universel.

Beaucoup de parents sont séparés de leur enfants, ce qui a souvent causé des drames car leur mère ne voulait pas les laisser partir.

Pour moi, l’histoire du Petit Poucet ne veut pas dire que les parents voulaient abandonner leurs enfants mais qu’ils voulaient leur bien car ils n’avaient plus les moyens de les nourrir…

– Pourquoi le thème de l’oiseau est-il récurrent ? Quelle est sa place dans l’histoire ?

Nous avions besoin d’un animal fétiche qui allait aider les personnages à s’en sortir. Et puis c’est un symbole universel. Les humains aident les animaux et les animaux aident ensuite les humains. Un animal qui vole, qui vole des choses et qui peut voler, qui peut transporter l’objet fétiche : la broche de Baba Yaga. C’est un fil conducteur dans l’histoire, un lien.

Photogramme du film : la pie

– Pourquoi une pie ? Pourquoi ces couleurs ?

La pie est un animal qui se trouve partout, qui est très graphique et puis noir et blanc ! Comme le dit Madame dans le film, rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc !

Et puis j’avais une pie apprivoisée quand j’étais petite !

Photogramme du film : la pie2

– Pourquoi avez-vous intégré des contes dans le film ? (Baba Yaga, le Petit Poucet, Hansel et Gretel) Est-ce qu’il y en a d’autres ?

Le petit Poucet est le principal et le plus évident.

Les ogres ensuite. Avec Marie, nous avons appris qu’aux États-Unis, on pouvait adopter un enfant, puis le rendre s’il ne convenait pas, comme chez les Della Chiusa dans le film (le couple de bourgeois fascistes qui achète Kyona et Adriel).

Le film est un conte initiatique, un conte sur l’exil, tous les contes racontent quelque chose de très universel.
Nous nous sommes inspirées des enfants des rues de Dickens, du conte des sept sœurs qui se transforment en corbeau3.

Comme dans La reine des neiges : la mère adoptive arrive à faire oublier à Adriel qui il est vraiment, elle lui glace le cœur. C‘est une période de profonde dépression, il se laisse gaver par sa mère adoptive.

Ou dans Baba Yaga et les histoires de jeunes filles qui tombent dans un puits, en sont sorties par une sorcière qui les garde à son service pendant un an. Si la jeune fille est bonne, elle crache des diamants et des perles, sinon elle crache des corbeaux et des serpents.

Nous avons été marquées par le récit d’Aharon Appenfeld4 qui dans Histoire d’une vie, raconte un épisode réel de son enfance, lorsqu’il s’est retrouvé dans une forêt et qu’il a a été sauvé par une « sorcière ».

– Pourquoi le film a-t-il une fin ouverte ?

Raconter la suite, l’arrivée dans le pays, ce serait un autre film ! Nous voulions raconter la traversée !

– Aviez-vous imaginé d’autres fins ?

La fin est ouverte sans vraiment l’être non plus

Le film débute dans l’atelier de Kyona âgée, donc on sait dès le début qu’elle arrive à réaliser son rêve.

– Pourquoi avoir choisi cette technique d’animation ? (La peinture sur verre)

Je suis peintre avant tout.

Je voulais raconter des histoires à travers une technique très picturale. Sur mes précédents films, je travaillais seule, c’étaient des courts-métrages, là, pour un long métrage j’avais besoin de toute une équipe.

Dans un film, il y a 24 images par seconde. L’œil voit ce mouvement comme un mouvement continu. C’est pour cela qu’on a une image qui parait continue alors que cela ne l’est pas.

Pour un film d’animation, la caméra a un obturateur qui s’ouvre et qui se ferme 24 fois par seconde.

En animation, on triche, donc on fait soit 12 dessins qu’on prend deux fois, soit 8 qu’on prend 4 fois, et on ajuste les images en fonction du mouvement.

Pour cette technique de peinture sur verre, c’est de l’animation directe. On invente le mouvement au fur et à mesure, et on efface pour peindre le mouvement suivant.

Il n’y pas de retour possible, tout le monde est obligé d’avancer sur l’image.

Au total, ce sont environ 57 600 dessins qui se sont transformés sous la caméra.

– Combien de plaques de verres avez-vous peintes ?

C’est toujours la même plaque de verre qui est travaillée.

Dans un banc-titre, sous la caméra, il y a quatre plaques de verre l’une au dessus de l’autre, les trois première plaques pour animer les personnages et la dernière, dessous, pour les décors.

– Quel est le coût de la peinture utilisée ?

Ce n’est pas le plus cher !

Le plus cher, c’est le temps des décoratrices.

– Combien de personnes ont travaillé sur le projet ?

10 décoratrices pendant 9 mois environ. Il y a 600 décors qui ont été peints, quasiment un décor par plan..

– Depuis sa sortie, quels sont les bénéfices générés par le film ?

J’ai été payée pendant trois ans. Le film a reçu des financements de la Région Occitanie, de l’Europe. Il a en partie été réalisé en Allemagne et en République Tchèque, avec des équipes locales. C’est ce qui a fait que nous avons eu des aides européennes.

Le budget pour un film d’animation c’est 3 000 000 euros au minimum. Mais je me souviens que c’était au moment où Spielberg faisait son film5 qu’avec 1 % de son budget, j’avais assez pour faire mon film !!!

Une seconde de film représente environ une journée de travail.

Si le plan n’est pas difficile, comme un portrait, on peut faire 8 secondes par jour.

Le story-board s’est affiné de plus en plus. Pour le déroulé, j’ai réalisé toute l’histoire en dessins rapides, surtout pour les couleurs, qui sont importantes dans l’histoire. Le rouge des ogres, le blanc et noir avec la forêt, le vert pour le printemps, et l’été en rouge aussi.

Après le story-board, on fait une animatique [maquette visuelle permettant de vérifier le minutage et la pertinence des raccords]. C’est la durée du plan dans le film.

Pour le lip sync [synchronisation labiale : faire bouger les lèvres en même temps que les paroles] les enregistrements des comédien.ne.s ont été faits avant les dessins.

Florence Miailhe nous montre ensuite des extraits de courts-métrages réalisés avec d’autres techniques : Hammam (1991) au pastel sec, Les oiseaux blancs et les oiseaux noirs (2002) en sable, ou l’incroyable 25, passage des oiseaux (2019) réalisé avec un écran d’épingles : l’épinette ; et des séquences de la réalisation du film, nous détaillant la technique de l’animation en peinture sur verre.

Elle prépare en ce moment une exposition : des dessins et des peintures de sa mère : Mireille Miailhe et ses œuvres personnelles, cet été à Castelnaudary

Merci beaucoup Florence !

Merci à Camille et Marion pour la prise de notes, à Lucie et Quentin pour les photos.


1. Festival international du film Molodist de Kiev. Molodist est le nom court sous lequel est connu le Festival international du film de Kiev. Il s’agit du festival de cinéma le plus important en Ukraine. Créé en 1970, c’est un festival international de premières œuvres : courts-métrages, premiers longs métrages et films d’étudiants.

2. Photographe pour l’agence Magnum, il revient de Malte et de l’île de Lampedusa, en Italie, où il a signé des reportages sur les migrants venus d’Afrique échoués sur place, à bout de forces. Source : Mathilde Trichet, dossier enseignant La traversée, CNC

3. Les Sept Corbeaux est un conte populaire recueilli par les frères Grimm.

4. Histoire d’une vie est un récit autobiographique de Aharon Appelfeld publié en 1999. « Comment un enfant ayant tout perdu peut-il survivre plusieurs années seul dans les sombres forêts ukrainiennes ? Aharon Appelfeld a dix ans lorsqu’il s’échappe du camp. Sa longue errance le conduira, quatre ans plus tard, en Palestine. Plongé dans le silence depuis le début de la guerre, il apprend une nouvelle langue. Il l’utilisera désormais pour tenter de relier les différentes strates de sa vie à leurs racines perdues. » Source Babélio

5. Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne, film américano-néo-zélandais, réalisé par Steven Spielberg et sorti en 2011.

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